Fais-Moi Revivre Excerpt

Back To Book

PROLOGUE

 

— Je suis d’accord avec toi, mère. Clarissa est une très belle femme, mais je ne vais pas sortir avec elle.

Zev ne daigna même pas cacher l’irritation qui transparaissait dans sa voix. Honnêtement, combien de fois devait-il dire à sa famille qu’il n’était pas intéressé par les rancards qu’elle lui arrangeait ? Épuisé, il s’adossa contre le canapé en cuir et se frotta les yeux de ses paumes. Le sommeil se faisait rare, et quand il s’endormait, il restait toujours alerte, terrifié à l’idée de perdre son humanité pendant qu’il était inconscient. En ce moment, il y arrivait à peine alors cette discussion était la dernière chose dont il avait besoin.

La voix de sa grand-mère, Mae, interrompit ses pensées. Sa frustration envers Zev avait atteint un tel degré qu’elle l’avait interrogé, lui, son Alpha, chose qu’elle n’aurait jamais osé faire en son temps. Là encore, ce n’était peut-être pas sa frustration ; les tentatives de Zev à rendre leur meute plus moderne avaient peut-être été plus réussies qu’il ne l’avait espéré.

— Je ne comprends pas, Zev. Tu as trente ans. Ton grand-père et moi étions mariés depuis plus d’une dizaine d’années quand nous avions ton âge. Ce n’est pas naturel ni sain pour notre espèce de rester seule.

Comme sur un signal, son grand-père, Walter, se joignit à la conversation. Avaient-ils tiré à la courte paille à l’avance pour déterminer l’ordre selon lequel chaque membre de sa famille lui parlerait ?

— Je réalise que nous te donnons l’impression que nous empiétons sur ta vie privée, fils, mais chaque métamorphe avec des yeux peut voir les problèmes que tu as, et la raison est simple : les loups sont des créatures très sexuelles, mais les…

Walter s’interrompit et déglutit difficilement, comme si ça le peinait de continuer la phrase.

—… les femmes qui ont l’habitude de satisfaire tes besoins physiques sont des demi-âmes. Elles ne sont pas suffisantes pour préserver ton humanité, surtout pendant tant d’années. Tu es un homme fort, et un puissant loup, Zev, le plus puissant que je n’ai jamais vu de ma vie. Mais aucun métamorphe ne peut échapper à sa nature, bien que je ne comprenne pas pourquoi tu insistes tant à essayer. Quelle qu’en soit la raison, si tu ne te lies pas à une louve bientôt, ton côté humain sera perdu. 

Sa famille pensait-elle vraiment lui dire quelque chose qu’il ne savait pas déjà ? Leur seule erreur était de sous-estimer sa force et sa détermination. Bien que l’idée de satisfaire ses besoins sexuels avec des humains – ou des demi-âmes, comme les métamorphes les appelaient – révulsait sa famille, il y avait certains membres qui en avaient fait une habitude. Comment avait-il pu préserver ses côtés humain et loup pendant trois décennies ? Ils ne pouvaient pas comprendre qu’un métamorphe puisse vivre aussi longtemps sans partager un quelconque lien physique.

Eh bien, ils avaient tort. Zev ne s’était lié avec personne – humain ou métamorphe – dans sa vie, qu’ils le croient ou non. Mais pour combien de temps encore ? Reprendre son apparence humaine devenait de plus en plus difficile à chaque transformation. Son loup s’accrochait à sa forme, refusant que l’homme en lui prenne le dessus. Et plus longtemps son loup avait le contrôle de leur corps, moins son humain serait capable de revenir à la surface.

— Inutile de le nier, Zev. Nous savons ce que tu fais, et nous ne te jugeons pas.

Bien qu’il croie en la sincérité de son père, Zev savait également qu’il était mal à l’aise à l’idée qu’un métamorphe se livre à des actes sexuels avec des humains. La seule raison pour laquelle ils acceptaient ce qu’ils appelaient « les bizarreries » de Zev était parce que la meute d’Etzgadol n’avait cessé de progresser depuis qu’il avait commencé son entraînement pour devenir Alpha, même plus depuis qu’il l’était devenu. Zev avait également eu du succès dans le business familial, doublant le revenu annuel de sa famille depuis qu’il avait pris les rênes.

— Enlève tes mains de ton visage et regarde-nous, Zev. C’est sérieux. Tu ne peux pas continuer à choisir ce train de vie. Ton corps n’y survivrait pas, déclara Gregory Hassick, la voix remplie d’inquiétude.

Zev laissa tomber ses mains et ouvrit les yeux, sachant qu’ils étaient injectés de sang et cernés. À quand remontait la dernière fois où il s’était réellement reposé ? Il enfouit ses doigts dans ses cheveux et résista à l’envie de hurler. Sa famille l’aimait. Il le savait. Et cette conversation était le reflet de cet amour, peu importe à quel point elle était déplacée.

— Combien de fois devrais-je expliquer ça, Père ? Je ne choisis pas ce train de vie. Je déteste être seul. Je ne me suis lié à aucune humaine. Je veux revendiquer mon âme sœur plus que tout.

Lori s’approcha de lui sur le canapé et prit sa main. Dès son arrivée à la tête de la meute, Zev avait mis en place une nouvelle structure plus égalitaire et sa puissante sœur l’avait énormément aidé afin qu’il atteigne ses objectifs. Elle dirigeait les femelles par exemple et celles-ci l’admiraient toutes. Elle ne pouvait pas s’opposer à leurs aînés, ce qui était la raison pour laquelle elle avait accepté de faire partie de cette petite réunion familiale. Mais elle ne pourrait jamais aller à l’encontre de son frère non plus, donc, elle restait silencieuse et le soutenait par ses gestes.

— Tout le monde veut une âme sœur, Zev, mais peu de métamorphes arrivent à la rencontrer, lui rappela Gregory. Le reste d’entre nous tombe amoureux et nous nous sentons complètement satisfaits avec les partenaires que nous avons choisis. Ta mère et moi avons été heureux ensemble pendant plus de la moitié de nos vies et nous n’étions pas des âmes sœurs. S’il te plaît, il est temps de laisser tes rêveries puériles derrière toi et d’accepter ton destin. Tu n’as pas été béni d’une âme sœur, mais tu peux toujours mener une vie remplie. Lie-toi avec Clarissa ou une des autres femelles de la meute. Quel mal y a-t-il à essayer ? Au mieux, tu trouves cette âme sœur, qui selon toi, existe. Au pire, tu as une compagne régulière et une union digne de ce nom.

Zev ne put empêcher le grondement qui sortit de sa poitrine. Il était fatigué de leur refus constant à reconnaître l’existence de son âme sœur et de leurs perpétuels rendez-vous arrangés. Ses parents avaient depuis longtemps arrêté de prétendre que les rancards qu’ils lui organisaient se constituaient d’un dîner et d’un film. Étaient-ils honnêtes avec ces femmes à propos du rôle sexuel qu’elles devaient jouer dans sa vie ? Probablement pas. Personne en dehors de sa famille ne connaissait la vérité. Bon sang, même ses proches le niaient, en dépit du fait qu’il avait été clair avec eux depuis des années.

— Clarissa n’est pas ma véritable compagne. Et je ne suis pas intéressé par une union avec elle, dit-il d’une voix sèche, son ton exprimant clairement le dégoût qu’il éprouvait à cette idée.

— Pourquoi pas, Zev ? Ses seins sont-ils trop petits ? Son derrière est-il trop gros ? Parle-nous, et nous t’aiderons. Si les femelles de notre meute ne te satisfont pas, nous en trouverons une dans la meute voisine afin que tu puisses te lier physiquement.

Il grimaça. Maintenant, son autre grand-mère rejoignait la partie. Existait-il un homme ayant été confronté à une vieille femme de quatre-vingt-dix ans lui proposant de choisir des seins et des culs ? Seigneur Dieu, faites que ça s’arrête !

— Je suis gay, Mami Betty. Les seins ne m’attirent absolument pas, et je n’ai jamais fait attention au… euh… derrière de Clarissa.

La toute petite vieille femme leva les mains au ciel.

— Notre espèce ne peut pas être gay, Zev. Ça ne marche pas de cette manière. Un mâle métamorphe a besoin de se lier avec une femelle métamorphe afin de garder son humanité, et la femelle doit accepter cette union afin de libérer sa louve. C’est ce qu’on nous apprend depuis l’enfance, chéri.

Zev laissa tomber sa tête dans ses mains, qui étaient croisées sur ses genoux. Ouais, il connaissait très bien leur version des mystères de la vie. Toutes les âmes métamorphes chevauchaient deux corps : le loup et l’humain. Les femmes étaient naturellement liées à leur côté humain, mais leurs louves étaient enfermées, incapables de se libérer pour exister vraiment. Les mâles, d’un autre côté, avaient un libre accès à leur loup depuis l’enfance, mais leur emprise sur leur humanité était tenace. La seule manière pour un métamorphe mâle de conserver son côté humain était de se lier à une femelle et d’absorber une partie de son humanité. De même, afin que la femelle puisse conserver sa raison, elle devait libérer sa louve de sa cage, et la seule manière d’y arriver était d’accepter le lien d’un mâle.

Alors, oui, Zev connaissait les concepts fondamentaux, mais il avait depuis longtemps rejeté l’idée qu’ils étaient inconditionnels. Parce que croire à ça voudrait dire croire qu’il était contre nature, ce qui était bien loin de la vérité puisqu’il était béni du plus précieux des cadeaux que la nature avait à offrir : une âme sœur.

Bien entendu, il avait dit à sa famille que la raison pour laquelle il ne s’était pas lié était qu’il attendait son véritable compagnon. Un mâle. La première fois qu’il avait dit ces mots à ses parents, ils avaient été choqués. Son père avait hurlé si fort que les fenêtres avaient littéralement tremblé, et sa mère s’était tenue là, dans la cuisine, et avait pleuré. Quand Zev avait refusé de céder, en dépit des protestations de ses parents, leur sentiment à ce sujet s’était transformé en dégoût, et ils lui avaient interdit d’évoquer la question de nouveau.

Après des années sans aucune femelle dans la vie de Zev, ses parents avaient commencé à s’inquiéter. Ils étaient trop gênés de raconter aux gens ce qu’ils appelaient la « condition » de leur fils, mais ne sachant quoi faire d’autre, ils avaient finalement fléchi et en avaient parlé à leurs propres parents. Tous les grands-parents de Zev avaient insisté sur le fait qu’ils n’avaient jamais entendu une chose pareille, et que cela ne pouvait être vrai. Donc, après ça, sa famille vivait à regret dans le déni, refusant de reconnaître la possibilité qu’il puisse être véritablement gay.

Être assis dans le salon de ses parents et repousser sans cesse leurs tentatives pour le lier à quelqu’un fit réaliser à Zev qu’il y avait un inconvénient à autoriser sa meute à donner leur avis… maintenant, il était forcé de les écouter. Peut-être qu’il aurait dû laisser les choses telles qu’elles étaient auparavant. Alors personne, et certainement pas une femelle, même si elle était une aînée et une proche, n’oserait parler d’une manière aussi condescendante à un Alpha.

Zev repoussa cette pensée dès qu’elle traversa son esprit. Il était heureux que sa famille tienne à lui, heureux que sa grand-mère se sente assez confiante pour l’interroger et heureux que les membres de sa meute soient à l’aise pour partager leurs avis. La meute était plus forte ainsi, même si cela voulait dire que Zev devait endurer cette discussion familiale, émotionnellement déprimante. Il leva les yeux et répondit à sa grand-mère.

— Je ne chercherai aucune autre compagnie que celle de mon âme sœur. Tu sais que seuls les métamorphes qui n’ont pas de véritable compagnon peuvent choisir un partenaire de vie. Un loup lié ne peut conserver son humanité que grâce à son âme sœur. Alors avoir des relations sexuelles avec Clarissa ou n’importe quelle autre femelle dans la meute ne réglera rien du tout. Et en dépit de ce que vous pensez, j’ai une âme sœur. Nos âmes sont liées ; un métamorphe ne peut pas se tromper sur ce genre de chose. Je peux sentir le lien au plus profond de moi-même.

Oh, Zev avait été confus au début, ça, c’était certain. Les sentiments qu’il ressentait n’avaient eu aucun sens compte tenu de ce qu’on lui avait appris. Cependant, aucune leçon, pas même les membres de sa meute qui s’évertuaient à expliquer la constitution de leur espèce, ne pouvait surpasser la plus importante vérité qui faisait vibrer son corps ; la présence de son âme sœur. Alors, avant qu’il n’atteigne la vingtaine, Zev avait déjà accepté l’idée qu’il était gay, malgré le fait que cela allait contre tout ce que sa meute pensait être naturel ou même possible.

Zev regarda Papi Hugh et Mami Betty, les suppliant du regard de l’aider. Ils étaient les seuls véritables compagnons de la famille, et l’un des rares couples dans l’histoire de la meute ayant trouvé leur âme sœur. Ils comprenaient forcément la puissance du lien. Il était absolu. Zev ne pouvait satisfaire son besoin de se lier avec son âme sœur en s’unissant avec un autre métamorphe, c’était comme si on lui demandait de respirer en inhalant de l’eau.

Hugh serra la main de Betty et regarda Zev avec compassion.

— Si tu as une âme sœur, Zev, alors tu as un devoir envers elle. Elle a besoin de toi afin de libérer sa louve ou elle perdra l’esprit. Et si tu étais en train d’abandonner ta véritable compagne, Zev ? Et si tu ne l’as pas trouvé justement parce que tu ne veux pas garder l’esprit ouvert à propos des femelles ?

Zev leva les yeux au ciel, trop frustré pour se soucier que ce soit un geste incroyablement puéril et irrespectueux. Il se demandait souvent si sa famille aurait cru qu’il était gay s’il leur avait dit qu’il connaissait depuis longtemps l’identité de son véritable compagnon. Peut-être qu’à ce moment-là, ils auraient arrêté de nier que son refus de coucher avec des femelles métamorphes n’était pas un exercice rebelle et philosophique auquel il s’adonnait.

Mais peu importe à quel point Zev aimait sa famille et avait confiance en elle, il ne voulait pas prendre ce risque. Personne ne le croirait s’il disait que Jonah était son compagnon, et celui-ci serait perçu comme une menace pour la meute. Le moyen le plus facile d’éliminer cette menace serait d’éliminer l’intrus. Les principes basiques de leur espèce étaient si enracinés, et si fondamentalement basés sur le besoin qu’un métamorphe mâle se lie avec une femelle, qu’il craignait qu’on puisse faire du mal à son compagnon si les autres découvraient l’identité de l’homme destiné à s’unir avec leur Alpha.

Non, Zev ne pouvait pas risquer la vie de son compagnon. Le seul moyen pour lui de reconnaître le rôle de Jonah dans son avenir serait de se lier à lui. Leur lien serait complet, et personne ne pourrait contester leur relation. Ou sa sexualité.

— Si mon âme sœur était dans un rayon de dix kilomètres, je l’aurais senti. Les rendez-vous arrangés ne sont pas un moyen sûr pour la trouver. Si vous vous inquiétez tellement que j’abandonne ma moitié, je vous propose un marché : je vous promets de rencontrer toutes les femelles que vous voulez, platoniquement bien sûr, pour voir si l’une d’elles est ma compagne, et en retour, vous promettez que quand je trouverai mon âme sœur et me lierai avec elle, vous soutiendrez mon union en tout point.

Le soulagement qui envahit ses parents et grands-parents était palpable. Les six personnes assises autour de lui se détendirent et de larges sourires ornaient leurs visages. Sa sœur pressa sa main et lui adressa un clin d’œil. Zev était certain qu’elle connaissait l’identité de son compagnon depuis aussi longtemps que lui, bien qu’aucun d’eux n’en ait encore parlé.

— Bien sûr, chéri, dit sa mère, le visage illuminé. L’union de deux âmes sœurs est une bénédiction.

— Surtout quand il s’agit de l’union de l’Alpha, parce que cela dévoile le cœur de notre meute, ajouta Papi Hugh d’un air rêveur.

Zev savait que le vieux loup se remémorait sa propre union.

— Ton âme sœur et toi seriez soutenus par nous et toute la meute !

La voix profonde de son père ne laissait aucune place à la discussion. C’était sans équivoque et irrévocable. Un serment.

Zev se leva, faisant redresser toutes les personnes autour de lui et carra les épaules.

— Alors, nous avons un marché. Je m’unirai à mon âme sœur quand le temps viendra et vous nous appuierez. Peu importe qui elle …

Il regarda intensément les visages des sept personnes qu’il aimait le plus au monde, en dehors de l’homme qui n’était pas dans la pièce, évidemment.

—… ou il sera, poursuivit-il. Bonne nuit.

Et avec ces dernières paroles, Zev tourna les talons et s’avança vers la porte d’entrée, ignorant les grognements qui s’entendaient derrière lui. Ils avaient donné leur parole, et cela apporterait un déshonneur impardonnable sur leurs ancêtres s’ils revenaient dessus, donc il savait que sa famille tiendrait sa promesse. Quant au reste de la meute, ce serait éventuellement un défi insurmontable, même en sachant que les anciens Alphas approuveraient son union.    

Une union entre deux mâles menaçait de briser tout ce qu’on avait appris à la meute à propos de la connexion d’une femelle avec son côté humain et le mâle avec son côté loup. Et, comme si l’idée de deux hommes liés n’était pas assez pour causer une grande panique, Jonah n’était pas seulement un mâle, il était aussi un humain – une demi-âme – pas un métamorphe. Et chacun savait qu’un loup ne pouvait pas s’unir à une demi-âme. 

Mais quand le temps viendrait, la meute pouvait soit le soutenir, soit se trouver un autre territoire. Les terres de la meute d’Etzgadol avaient appartenu aux Hassick pendant dix générations. Et avec ses grands-parents, parents et sœur à son côté, Zev était certain qu’il pourrait perpétuer la tradition. Même si cela signifierait qu’il le fasse tout en reconstituant une nouvelle meute. Zev savait que si c’était le prix à payer pour être avec Jonah Marvel, il le ferait sans aucune hésitation. Il ferait tout ce qui était en son pouvoir pour revendiquer et garder son âme sœur.

Zev sortit de la maison de ses parents et se dirigea vers son pick-up. Il posa la tête contre la portière et prit une profonde inspiration, laissant l’air frais s’infiltrer dans ses poumons. Prendre une nouvelle fois la parole devant sa famille et avoir leur soutien pour sa future union était bien beau, mais cela ne voulait pas dire grand-chose si son compagnon ne revenait pas et n’acceptait pas sa place dans la meute aux côtés de Zev. Si Jonah ne rentrait pas bientôt, il ne savait pas s’il y aurait un mâle Hassick disponible pour diriger la meute d’Etzgadol.

Il releva les yeux vers le ciel. Les étoiles étaient belles. Elles brillaient au-dessus de lui, montrant les esprits de ceux qui avaient été là, auparavant. Reviens-moi, Jonah. Nos esprits sont liés, et mon corps ne pourra plus supporter de rester sans son autre moitié très longtemps.

Il ressentait la douleur au plus profond de lui-même, l’envie de se transformer et de courir. Mais il la repoussa, heureux que pour l’instant du moins, son côté humain ait autant de détermination. Son loup était fatigué d’attendre que leur compagnon revienne et il voulait avoir le contrôle de leurs deux formes afin qu’il puisse aller chercher Jonah et le revendiquer. Mais leur âme sœur était depuis longtemps partie, et bien trop loin pour que son loup puisse la sentir. Les chances qu’il le trouve avant qu’il ne croise des chasseurs ou des véhicules étaient minces.

À moins qu’il ne revendique son âme sœur, le moment où son côté humain ne pourrait plus avoir le contrôle approchait. Quand cela arriverait, la peur que sa famille avait évoquée cette nuit deviendrait une réalité : l’humain de Zev serait à jamais perdu. Et sans le bon sens de ce dernier pour le calmer, son loup se tuerait probablement en essayant de retrouver leur véritable compagnon.

Le pick-up noir s’avança sur la route sinueuse, passant à travers les arbres et emmenant Zev loin de la discussion sérieuse que les siens avaient organisée à la maison familiale, pour rejoindre l’endroit qu’il appelait « chez lui » depuis plus d’une décennie. C’était inhabituel pour un métamorphe de vivre seul. Ses semblables restaient dans la maison familiale jusqu’à ce qu’ils choisissent un partenaire, et ensuite, ils construisaient leur propre demeure, qui accueillait des petits assez rapidement. Toutefois, Zev avait déménagé quand il avait eu dix-huit ans, espérant qu’un peu de distance l’aiderait à réduire sa frustration par rapport au refus de sa famille de reconnaître la possibilité qu’il puisse avoir un véritable compagnon mâle.

La terre de la meute d’Etzgadol comprenait des milliers d’hectares, jouxtant un parc national. En plus d’être un endroit où toute la meute pouvait courir, la forêt accueillait l’entreprise de céramique des Hassick ainsi que les différentes maisons de sa famille. Chaque membre de celle-ci avait droit à cette terre, alors personne n’avait pu empêcher Zev d’en revendiquer une partie et d’y construire sa maison. Ce que ses parents auraient pu faire et qu’ils avaient fait d’ailleurs, était de lui couper les vivres.

Ils n’avaient pas compris son désir de vivre seul ; « anormal », avaient-ils appelé ça. Cela n’aurait pas eu d’importance s’ils n’avaient pas à nouveau utilisé ce mot pour décrire ses sentiments quand il leur avait dit qu’il était gay. Après tout, son âme sœur était un mâle et qu’est-ce qui était plus naturel que ce lien sacré ?

Quoi qu’il en soit, les parents de Zev avaient espéré le garder chez eux en lui coupant les vivres, mais il avait pris sa tente, l’avait plantée dans la forêt et avait vécu là-bas. Il avait commencé à travailler dans l’entreprise familiale à ce moment-là, et avait vécu des ressources naturelles, économisant chaque dollar jusqu’à ce qu’il ait assez d’argent dans la banque pour construire une maison, celle qu’il avait prévu de partager avec son compagnon.

À l’époque, Zev était trop jeune pour se lier. Oh, il était physiquement apte, mais les métamorphes s’unissaient rarement avant la trentaine. Donc, son loup aurait dû être heureux de jouer et de chasser, comme ses semblables. Mais cela n’avait pas été le cas. Son loup n’avait pas été satisfait et son côté humain non plus. En fait, Zev ne s’était pas senti en paix depuis qu’il avait dix-huit ans. Parce que c’était l’année où il avait perdu Jonah.

Zev alluma la radio, espérant qu’un peu de musique bruyante l’aiderait à rester éveillé. Il avait l’impression que sa nuque était en caoutchouc, et il frotta ses yeux fatigués d’une main. Son corps lui faisait tellement mal qu’il n’avait pas dormi paisiblement depuis très longtemps. La douleur qui était profondément ancrée en lui avait été sa seule compagne puisque Jonah avait déménagé douze ans plutôt, mais la plus grande partie de son agitation était due au loup tourmenté qui essayait désespérément de sortir. Zev ne s’était pas autorisé à se transformer depuis trois mois.

Son loup n’était jamais resté aussi longtemps sans être libéré. En réalité, Zev s’était toujours transformé plus fréquemment et pendant de plus longues périodes que les autres. Sa mère disait fièrement que c’était parce que le loup de Zev était très puissant. Et peut-être que c’était vrai. Son loup était plus grand, plus fort et plus conscient de son environnement que les autres de la meute.

Gregory Hassick avait alors commencé à emmener Zev aux réunions du Conseil Inter-meutes quand le présumé Alpha avait eu dix-huit ans. Cela faisait partie de l’entraînement, un moyen pour Zev d’apprendre ce qui était attendu de lui et de créer des liens avec les dirigeants d’autres meutes. À chaque fois qu’on le présentait à ces chefs, les métamorphes avaient reconnu la puissance remarquable du loup de Zev. Certains évitaient ce dernier quand ils le sentaient pour la première fois, inquiets qu’il les défie pour le contrôle de leurs meutes. Mais ils ne mettaient jamais longtemps avant d’admettre que Zev était loyal, qu’ils constatent qu’il n’avait aucun désir de prendre ce qu’il leur appartenait. Par conséquent, les liens forts qu’il avait établis avec les meutes voisines pendant ces douze dernières années avaient permis d’apporter à la sienne l’aide et le soutien dont elle avait besoin.  

La puissance de son loup était la raison pour laquelle Zev ne pouvait plus lui permettre de vagabonder en liberté comme avant. Le fait était qu’il ne se sentait pas assez confiant pour arriver à contrôler cette part de lui-même et cela l’avait obligé à l’emprisonner. Sa famille avait raison de s’inquiéter pour lui. Trois décennies sans se lier représentaient une longue période pour un métamorphe.

Il ne s’était jamais attendu à ce que sa séparation avec Jonah soit aussi longue, ni aussi difficile. Quand il avait compris que Jonah était son véritable compagnon à la veille de son départ, Zev avait cru qu’ils ne seraient éloignés l’un de l’autre que quelques années seulement et que ces années seraient parsemées de quelques visites. Pas grand-chose.  

Zev avait totalement sous-estimé à quel point son ami lui manquerait. Il avait sous-estimé le besoin ancré en lui d’être avec son compagnon. Et, le pire, il avait sous-estimé la longueur de leur séparation. Quand Jonah avait déménagé cet été-là, douze ans plus tôt, il avait percé un trou en Zev. Et ce dernier commençait à se demander si Jonah allait rentrer un jour à la maison pour refermer cette plaie. 

Back To Book